Le 22 septembre dernier, lors d’un journal télévisé sur France 2, le nouveau Premier Ministre Michel Barnier a déclaré : « Je vais prendre le temps d’améliorer la loi sur les retraites ». Cette loi évoquée est la réforme des retraites française promulguée le 14 avril 2023. Cette dernière, qui a suscité de nombreuses oppositions, comprend plusieurs mesures à l’instar du report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Cette réforme s’inscrit plus largement dans une volonté d’assainir les dépenses publiques françaises, qui se sont fortement accrues ces dernières années.
En effet, le système français est parfois qualifié de « généreux », voire de « trop généreux ». C’était également l’une des remarques que l’on pouvait adresser au système de pensions grec. Du fait de la crise des années 2010, une grande réforme a été mise en place. Il peut donc être utile de comparer ces deux États dans le but d’entrevoir le futur possible des retraites françaises.
La situation antérieure
Jusqu’aux années 2010, le système grec se composait ainsi : les pensions étaient financées via deux volets. D’une part, un volet financé par les contributions des citoyens, similaire à celui français. D’autre part, un axe financé par un fonds national public, dont les montants alloués dépendaient du nombre d’années de résidence dans le pays.
Toutefois, le système grec faisait face à une difficulté structurelle. Plus de la moitié de ses recettes provenaient directement de l’État, ce qui représentait environ 7 % du PIB grec en 2014. C’est davantage que la majorité des États européens. Cette importante dépense de l’État était donc une cible dans le cadre du plan d’austérité grec (2010-2017).
Les réformes
Plusieurs réformes ont été mises en œuvre pour transformer le système de retraite grec. Tout d’abord, la première réforme, en 2010, a marqué un recul significatif de l’âge de départ à la retraite, passant de 60 à 65 ans pour les femmes, afin de l'aligner sur celui des hommes. Cet âge a également été relevé pour les fonctionnaires. De plus, des mesures ont aussi été prises pour plafonner les retraites les plus élevées.
Ensuite, en octobre 2011, une deuxième réforme a réduit les pensions selon plusieurs critères, notamment en abaissant de 20 % celles dépassant 1200 euros par mois. Par la suite, de 2014 à 2018, un gel des retraites a été instauré, et l’âge de départ a de nouveau reculé en octobre 2015, pour atteindre 67 ans. Enfin, en mai 2016, de nouvelles mesures ont été adoptées, réduisant une fois encore le montant des pensions.
Les effets
Les réformes ont donc été nombreuses et difficiles pour les Grecs. Quelles sont les conséquences de ces mesures d’austérité?
La réforme des retraites grecque s’est inscrite dans un plan d’austérité très large, qui s’attaquait à la plupart des leviers d’action de l’État. La santé, l’éducation ou encore la Défense ont également été sévèrement touchées par les mesures de rigueur. Si la situation économique grecque s’est améliorée, les dégâts ont été considérables. Il est toutefois difficile d’évaluer précisément les effets des réformes des retraites à elles seules. On estime tout de même qu’environ 1,5 million de retraités grecs sont passés sous le seuil de pauvreté, signe que les conséquences sont très importantes. Les effets sont d’autant plus importants que les retraités grecs subvenaient parfois aux besoins de leurs enfants. La baisse des retraites a donc impacté plusieurs générations grecques à la fois.
Une comparaison nécessaire entre la France et la Grèce
Bien que la France et la Grèce diffèrent considérablement en termes de taille économique et de rôle sur la scène internationale, leurs systèmes de retraite sont confrontés à des défis structurels similaires. En Grèce, avant la crise des années 2010, le système de retraite souffrait d'une structure économique fragile et d'une forte dépendance à l'égard des fonds publics. En France, bien que l'économie soit plus résiliente, le système de retraite, basé sur la répartition, repose également largement sur la contribution de l’État pour compenser les déficits, surtout lors de ralentissement économique ou de vieillissement démographique accéléré.
La Grèce, avec une population vieillissante et un marché du travail sous pression, a vu ses dépenses consacrées aux retraites atteindre des niveaux insoutenables, représentant jusqu’à 17 % de son PIB avant les réformes, bien au-delà de la moyenne européenne. En France, bien que la
part des dépenses publiques consacrées aux retraites soit légèrement inférieure (autour de 13,4 % du PIB en 2023), la pression est croissante. C’est notamment ce que révèle le rapport annuel de juin 2024 du Conseil d’orientation des retraites. L'accélération du vieillissement de la population française, couplée à une augmentation continue de l'espérance de vie et à une diminution du ratio cotisants/retraités, met en péril le système de répartition. Alors qu'il y avait quatre cotisants pour un retraité dans les années 1960, ce rapport a chuté à environ 1,7 pour 1 en 2023.
Sur le plan social, les deux pays partagent une forte tradition de protection sociale, avec une importance majeure accordée à la solidarité intergénérationnelle. En Grèce comme en France, les retraites représentent non seulement un revenu pour les retraités, mais un filet de sécurité sociale pour les familles, souvent impliquées dans le soutien financier des jeunes générations, particulièrement en temps de crise. Cet élément était néanmoins beaucoup plus important en Grèce du fait de la crise. Cette responsabilité sociale rend toute tentative de réforme politiquement délicate et expose les gouvernements à des mouvements de contestation populaire, comme cela a été le cas en Grèce en 2010 et plus récemment en France lors des manifestations contre la réforme de 2023.
La Grèce : quelles leçons pour la France ?
Les réformes en Grèce ont été particulièrement sévères pour la population. La situation grecque peut servir d’exemple à la France pour repenser son propre système de retraites, qui fait face à des problèmes structurels similaires. Toutefois, la France bénéficie d'une économie plus solide, et pourrait ainsi éviter certaines des mesures les plus drastiques prises par la Grèce. Par exemple, le report progressif de l’âge de départ à la retraite et la réduction des pensions les plus élevées pourraient constituer des solutions adaptées, mais elles doivent être implémentées avec prudence afin de ne pas reproduire les erreurs qui ont plongé de nombreux retraités grecs dans la pauvreté. La brutalité des réformes entreprises en Grèce a été le vecteur d'une profonde injustice sociale, exacerbant les inégalités entre les différentes couches de la population.
Il est crucial que la France aborde ces enjeux avec une attention particulière à l’équité intergénérationnelle, tout en s'inspirant des leçons tirées de l’expérience grecque, afin d’éviter des conséquences sociales trop brutales.