Les extrêmes droites au Parlement européen

Aux élections européennes de juin 2024, le Rassemblement National de Jordan Bardella s’est imposé comme le premier parti politique français. Du haut de ses 30 sièges acquis, le RN a largement amélioré sa performance de 2019 où il en avait gagné 23. Cette dynamique de montée de l’extrême-droite n’est pas propre à la France. En Allemagne par exemple, l’Afd (Alternativ für Deutschland ou Alternative pour l’Allemagne) a remporté 14 sièges contre 11 en 2019. 

Si l’on compare rapidement l’hémicycle de 2019 (N°1) avec celui de 2024 (N°2), on observe une large poussée de la droite, voire de l’extrême-droite : 

N°1 : Représentation de l'hémicycle européen pour la mandature 2019-2024 (Image tirée du site officiel du Parlement européen <europarl.eu>)
N°2 : Représentation de l'hémicycle européen pour la mandature 2024-2029 (Image tirée du site officiel du Parlement européen <europal.eu>)

Tous les groupes politiques situés à droite ont progressé, un nouveau groupe à l’extrême-droite de l’hémicycle a même été créé (Europe of Sovereign Nations). 

L’étude de ces différents groupes politiques, et des partis nationaux qui les composent, montre en réalité la présence d’une droite radicale dans chacun d’entre eux. Il nous a ainsi semblé pertinent de  nous intéresser à la diaspora que forme la droite radicale au Parlement européen. L’objet de cette étude est de mieux saisir les nuances et oppositions idéologiques qui caractérisent la droite radicale et l’extrême-droite européennes. Afin d’appréhender ces différentes caractéristiques, nous procéderons en analysant les groupes politiques un à un. Avant cela, il nous a cependant semblé important de rappeler quelques fondamentaux pour définir au mieux la notion d’extrême-droite

Comment définir les droites radicales de nos jours? 

En 1998, dans sa thèse de doctorat, le politologue néerlandais Cas Mudde donnait 5 critères pour classifier l’extrême-droite :  nationalisme, racisme, xénophobie, opposition à la démocratie et volonté d’un État fort. Intéressons-nous d’abord aux 3 premiers de ces critères : nationalisme, racisme et xénophobie. 

Certes, l’extrême-droite est nationaliste et xénophobe, mais est-elle toujours raciste? 

Un rapide examen de ces 3 critères montre qu’ils sont encore tout à fait d’actualité pour qualifier l’extrême-droite de nos jours. Le nationalisme est une des composantes essentielles de l’extrême-droite européenne. Le nom des groupes politiques au Parlement européen le montre bien : Patriots of Europe (les Patriotes européens) ou Europe of Sovereign Nations ( L’Europe des Nations souveraines). l’ESN est le nom même du courant de pensée refusant toute supranationalité au nom de la supériorité pleine et entière de la nation. Ce nationalisme est également européen : la culture commune européenne et en particulier l’héritage judéo-chrétien sont célébrés par ces mêmes partis. Il en va de même pour la xénophobie, critère toujours essentiel à l’extrême droite européenne. Ici encore, cette xénophobie possède deux dimensions géographiques. Au rejet de l’étranger extra-national vient s’ajouter une version moins extrême qu’est celle du rejet de l’étranger extra-européen. 

Par exemple, dans le programme du Rassemblement National pour les élections législatives 2024, cette double dimension est particulièrement visible dans la sous-partie “préserver le peuple français de la submersion migratoire”. Le RN propose ainsi d' “Ouvrir des négociations avec nos partenaires européens pour réserver la libre-circulation Schengen aux seuls ressortissants européens” montrant bien une dimension européenne tout en proposant également deux lignes plus loin de “Mettre en place la priorité nationale”.

Les critères du nationalisme et de la xénophobie montrent donc tous deux une adaptation des partis d’extrême-droite à la dimension européenne. 

Quant au racisme, on peut légitimement considérer que l’extrême-droite est toujours raciste mais d’une manière différente. Jean-Yves Camus, dans la revue Politique Étrangère de l’IFRI écrit ainsi : “le racisme dit “hiérarchisant” a été supplanté par l'ethno-différentialisme. Celui-ci présuppose l'incomparabilité des cultures et la nécessité, pour préserver chacune d’elles dans son intégrité, de les tenir pour également respectables, à condition que les peuples qui les portent ne se mélangent pas.”

En raison de ces différentes mutations, il a été plus difficile de classifier les partis d’extrême-droite comme tels. Cela est encore plus vrai lorsque l’on s’intéresse aux deux derniers critères : l’opposition à la démocratie et la volonté d’un État fort. 

La nouvelle République démocratique et sociale : celle de l’extrême-droite?

En ce qui concerne la volonté d’un État fort, l’extrême-droite européenne s’est complètement diversifiée. Si les différents partis s’accordent sur la priorité donnée aux domaines régaliens, il en va différemment en ce qui concerne l’intervention économico-sociale. Loin du libertarien J. Milei, le Rassemblement National français affiche un programme ouvertement social (dont la réalité sociale est contestée par plusieurs observateurs) avec l’abolition des impôts pour toutes les personnes ayant moins de 30 ans. À l’inverse, Alternativ für Deutschland est plus nuancé, en voulant seulement maintenir le salaire minimal à son niveau actuel et remplacer l’allocation chômage afin de réduire les dépenses de l’État. Le rapport à l’intervention de l’État constitue ainsi un facteur de différenciation au sein des droites radicales. 

Il en va de même pour ce qui est de l’opposition à la démocratie. Bien qu’une caractéristique historique de l’extrême-droite, marquée par l’empreinte du fascisme, les rapports avec la démocratie ne se font plus seulement à travers le prisme de l’opposition. L’extrême-droite s’inscrit désormais bien plus dans une perspective populiste. Elle veut rendre le pouvoir au deimos par opposition aux élites, dans une appréciation plus ou moins globale, qui auraient confisqué ce même pouvoir. Or, les mouvements politiques d’extrême-droite ne sont plus seulement situés dans une phase de revendication du pouvoir : ils l’exercent également. Les deux exemples principaux sont ici le Fidesz de Viktor Orbàn et le Pis (Parti Droit et Justice) polonais. Dans les deux cas, cette accession au pouvoir par les urnes s’est accompagnée d’une remise en cause plus ou moins profonde de l’État de droit. Le Pis polonais a par exemple grandement réformé le système judiciaire afin d’affaiblir la justice comme potentiel contre-pouvoir aux volontés du gouvernement. Ces réformes ont notamment visé le Tribunal Constitutionnel. S’il n’y a pas de remise en question directe de la démocratie, son exercice est néanmoins tout à fait discutable. 

Après ce rapide tour d’horizon sur ce que sont les droites radicale et extrême de nos jours, nous allons à présent nous intéresser à leur répartition au sein du nouvel hémicycle européen. 

Europe of Sovereign Nations : à la droite de l’extrême-droite

Bien que 2 nouveaux groupes politiques aient été créés (Patriots for Europe et Europe of Sovereign Nations), Patriots for Europe apparaît en réalité comme l’héritier d’Identité et Démocratie, faisant alors d’ESN la réelle nouveauté pour la mandature 2024-2019. Ce groupe est un micro-groupe, avec seulement 25 députés, dépassant de 2 députés seulement le nombre minimum requis pour former un groupe politique. On y retrouve les 14 députés de l’Afd (Alternativ für Deutschland). Le reste des troupes est formé par quelques députés issus de divers partis d’extrême-droite européen. On y retrouve par exemple la française Sarah Kafno, députée Reconquête ! 

En réalité, ce groupe bénéficie largement à L’Afd. Elle avait été exclue de la formation du RN Identité et Démocratie en mai dernier après que Maximilian Krah, dirigeant de l’époque, ait affirmé que tous les SS n’étaient pas des criminels de guerre. La ligne de ce parti est clairement identitaire, voulant lutter contre “l’islamisation” et l’immigration, tant légale qu’illégale. Cependant, le parti s’oppose également au Pacte Vert de l’Union européenne et au soutien militaire à l’Ukraine. On y retrouve une extrême-droite aux racines négationnistes. Par exemple, Janusz Korwin-Mikke, ex-membre du parti Confédération (3 députés dans le groupe ESN) avait déclaré qu’Hitler n’avait pas connaissance de l’Holocauste. Le parti Renaissance bulgare (3 députés dans le groupe ESN) prône une position eurosceptique, anti-OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) et pro russe. Le groupe politique dans son ensemble émet, a minima, des réserves quant à la construction européenne et démontre un certain attrait pour le Kremlin de Poutine.

On est ici encore dans l’extrême-droite contestataire qui n’est pas encore arrivée au pouvoir et qui ne participe que marginalement dans les institutions parlementaires nationales et européennes. 

Patriots of Europe : l’extrême-droite populiste européenne

De par sa composition comme de son positionnement idéologique, Patriots of Europe apparaît comme l’héritier du groupe d’Identité et Démocratie. Avec 84 eurodéputés, le groupe est la troisième formation politique la plus importante de l’hémicycle derrière le Parti Populaire Européen et les Sociaux démocrates. Il rejoint grandement les positions idéologiques d’Europe of Sovereign Nations : refus d’aide militaire à l’Ukraine, positions pro-russes, lutte contre l’immigration, promotion de valeurs conservatrices (notamment concernant le modèle familial)...

Cependant, contrairement à eux, les partis politiques qui composent les Patriotes pour l’Europe ont une expérience du pouvoir. On retrouve ainsi le Fidesz de Viktor Orban mais également le PVV néerlandais de Geert Wilders (arrivé premier lors des législatives néerlandaises de 2023 sans pour autant devenir Premier Ministre). Chez ces partis comme chez le Rassemblement National français, on retrouve une forte rhétorique xénophobe, ethno-différentialiste et  nationaliste, penchant de plus en plus vers la préférence nationale. Pour ce qui est du rapport à la démocratie, Viktor Orban est notamment critiqué pour ses réformes visant la Cour constitutionnelle, l’indépendance des médias ou encore le système judiciaire de manière plus globale. La progressive montée en puissance de ces partis provoquera probablement leur accession au pouvoir pour certains.

Ces expériences permettront alors de mieux cerner le rapport illibéral qu'entretiennent ces partis à la démocratie. 

European Conservatives and Reformists : la droite radicale

Deux partis composent majoritairement les quelques 78 eurodéputés du groupe : les Fratelli D’Italia (Frères d’Italie, parti de Giorgia Meloni) et le Pis polonais (Parti Droit et Justice) avec respectivement 24 et 18 députés. Ce groupe politique est souvent qualifié d’eurosceptique et est fermement opposé aux logiques d’intégration et de supranationalité au profit de celle de coopération. Cette droite apparaît à bien des égards à mi-chemin entre l’extrême et la droite gouvernementale traditionnelle. Par exemple, en ce qui concerne le Pacte Vert de l’Union européenne, Nicola Procaccini, coprésident du groupe qualifiait le pacte de “sujet controversé” tout en promouvant une approche plus nationale du problème écologique. Le parti s’inscrit toujours dans une logique anti-migratoire tout en promouvant des valeurs conservatrices. En ce qui concerne le rapport à la démocratie, cette droite semble également s’inscrire dans une forme de démocratie illibérale (cf les réformes du parti Droit et Justice vis-à-vis de la justice). Économiquement elle apparaît néanmoins plus libérale, promouvant la compétitivité et des dépenses minimales avec son slogan “doing less but better”. À l’inverse des Patriotes pour l’Europe, la position des Conservateurs et Réformistes européens est, a minima, plus nuancée, voire clairement atlantiste en ce qui concerne l’orientation géopolitique de l’Europe. 

On observe donc une réelle balkanisation des droites extrêmes et radicales au sein du Parlement Européen. Même lorsqu’on s’intéresse au Parti Populaire Européen, pourtant beaucoup plus modéré, on remarque que certaines de ces composantes avoisinent les pratiques illibérales lorsqu’elles sont au pouvoir. On peut à ce titre citer le parti grec Nouvelle Démocratie qui favorise la privatisation des médias et ce au détriment du pluralisme et de leur indépendance, les médias devenant concentrés dans les mains de quelques businessman. Cette balkanisation peut profiter à l’extrême-droite : il est facile d’utiliser le parti à sa droite comme bouc-émissaire pour mieux se prévaloir d’une position modérée.

Malgré ses métamorphoses, et contrairement à l’image qu’elle veut renvoyer,  l’extrême-droite européenne n’est pas acquise à la démocratie.

Désormais, il reste à savoir l’attitude que vont adopter les formations politiques plus modérées face à la force grandissante qu’est l’extrême-droite en Europe.

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Auteur(s)

Sebastien

Masson

Deuxième année
Sciences Po Strasbourg

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Pour citer ce baratin :
Sebastien Masson, "Les extrêmes droites au Parlement européen", [en ligne] BARA think tank, Jul 29, 2024, "https://www.bara-think-tank.com/post/les-extremes-droites-au-parlement-europeen"