De leur naissance au second conflit mondial, les forces aériennes ont dû faire face à une farouche opposition des armes traditionnelles. Ces dernières ne voyaient en elles qu’un gadget ou un feu de paille, incapable de résister aux affres d’une guerre prolongée. Le second conflit mondial démontra toute l’importance de ces forces, conduisant les forces de l’Ouest à bâtir leurs doctrines autour des forces aériennes.
Si la majorité des autres nations ne suivirent pas la voie extrême de l’Ouest, plaçant l’aviation en pièce maîtresse de la distribution du feu, elles s’équipèrent autant que possible d’une force aérienne. L’Iran connut un destin unique, qui le plaça un temps parmi les plus grandes aviations de combat du monde, autant en termes de nombre d’appareils que de capacité, avant de péricliter à un rang insignifiant.
Aux origines de la force aérienne iranienne
Fondée en 1920, l’armée de l’air iranienne devint dans les années 1970 une formidable arme n’ayant au Moyen-Orient pour seul et unique rival que l’indétrônable Heyl Ha'Avir Ha'Israeli, l’armée de l’air israélienne. Cependant, alors plus fidèle alliée d’Israël dans la région, aucun combat n’opposa la force iranienne au sommet de sa gloire à la force israélienne. Cette quasi-domination s’explique par un programme de modernisation lancé au début des années 1970, en deux volets. Le premier, purement matériel, consistait en l’achat de trois types d’avions modernes pour rééquiper les forces de pied en cap, tandis que le second se basait sur un programme de formation poussé du personnel et particulièrement des pilotes, mené en grande partie aux États-Unis.
Les trois modèles d’appareils furent le chasseur léger et d’entraînement F-5 Tiger II, le chasseur bombardier F-4 Phantom II et l’iconique intercepteur F-14 Tomcat, dont l’Iran fut le seul client export. Doté d’un équipement de pointe et d’un personnel très performant, l’armée de l’air iranienne sauva le pays de la défaite lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988) en assurant une supériorité aérienne que les Irakiens n’arrivèrent que rarement à disputer. Cet exploit est d’autant plus remarquable qu’il s’opéra alors que la République islamique avait purgé la moitié de son précieux personnel avant le conflit. À cette difficulté s’ajoute l’embargo des États-Unis sur le matériel militaire, privant le pays de pièces détachées et de munitions. Afin de renforcer ses forces, elle se tourne vers son principal fournisseur d’armement, la Chine. Cette dernière lui fournit son très abordable (et limité) J-7M, une copie modifiée du vieux MiG-21 soviétique. C’est une véritable rétrogradation en comparaison des F-14 et F-4 encore en service et acquis presque 15 ans plus tôt. Mais faute de mieux, les Iraniens sont obligés de l’intégrer à leur ordre de bataille.
Si ce conflit sera son heure de gloire, la force iranienne en sort terriblement affaiblie et n’arrivera jamais vraiment à se régénérer.
Les années 90 : une reconstruction médiocre
Plus ou moins victorieuse de la guerre contre l’Irak, l’Iran se retrouve exsangue autant sur le plan économique que militaire à la sortie du conflit. Craignant une nouvelle agression, le régime islamique va faire du renforcement de sa force aérienne, passée de plus de 500 avions à moins de 100, une priorité. Cependant, privée du marché occidental et ne possédant que des ressources financières limitées, ses choix furent limités. Elle poursuivit un temps ses achats de J-7M, mais se tourna rapidement vers l’URSS et ses appareils bien plus qualitatifs. Une vingtaine de MiG-29B et une douzaine de Su-24MK vont ainsi venir renforcer la force aérienne en 1990. Toutefois, c’est un an plus tard que l’armée de l’air iranienne va recevoir un bol d’oxygène inattendu. Alors en pleine débâcle au Koweït, Saddam Hussein décide d’envoyer le reste de sa flotte aérienne se réfugier en Iran… qui accepte. Cette dernière se gardera de les rendre après la fin du conflit, les considérant comme une réparation vis-à-vis de la guerre précédente. Plus de 130 appareils rejoignent ainsi l’arsenal iranien. Une partie sera versée dans les forces actives tandis qu’une autre sera démontée pour servir de pièces détachées.
Si elle se renforce durant cette période, l’armée de l’air iranienne n’arrive pas à retrouver son niveau d’antan, autant pour ses appareils que pour son personnel. De plus, elle doit faire face à de nouvelles problématiques, dont principalement le maintien en condition opérationnelle (MCO) d’appareils aussi variés que leurs fournisseurs, devant parfois s’effectuer sans formation et soutien du constructeur ainsi que la formation du personnel navigant et au sol.
La production locale : une solution tournant à la mascarade
Une des solutions pour sortir de ces difficultés fut de lancer une production locale d’appareils de combat. La compagnie locale HESA fut chargée de la tâche et proposa les Azarakhsh, Saeqeh, Kowsar, Shafaq et Qaher-313. Cependant, le résultat ne fut pas au rendez-vous. Les Azarakhsh, Saeqeh et Kowsar ne sont que de vulgaires copies du F-5 Tiger américain lancé en 1962 et plus ou moins modernisées et modifiées. Seul le Saeqeh fut produit en petite série (une trentaine d’appareils) de 2004 à 2006, les autres restèrent des prototypes. Les Shafaq et Qaher-313 sont quant à eux des projets d’avion de combat furtif totalement nouveaux, mais aucun appareil opérationnel ne fut terminé malgré le large dépassement des délais (2017). Vendus comme les meilleurs avions du monde par le régime à leur annonce, ils connurent tous un cuisant échec dans leur développement, à l’exception du Saeqeh, démontrant que l’Iran des mollahs n’avait pas les ressources intellectuelles, industrielles et financières pour mener à bien de tels programmes.
Une force aérienne affaiblie
L’armée de l’air iranienne est la première victime de ces échecs. Elle se voit ainsi incapable de remplacer ses appareils les plus anciens tout en étant toujours aux prises avec des problèmes de MCO et de formation très importants. Elle se compose actuellement :
Su-24 MK :
Version export et dégradée du Su-24M, il s’agit d’un bombardier à géométrie variable, bâti pour s’infiltrer à basse altitude dans le dispositif adverse pour frapper ses points stratégiques. On estime que la force aérienne iranienne possède une trentaine d’exemplaires de cet appareil capable mais daté.
J-7M :
Version chinoise lourdement modifiée et modernisée du MiG-21 soviétique, le J-7 est un chasseur doté de quelques capacités air-sol. La version M a été conçue grâce à une assistance occidentale, cependant sa principale qualité réside dans son prix très bas. Il est obsolète et gravement dépassé par tous les appareils des opposants à l’Iran. Une vingtaine d’appareils seraient toujours en service.
Mirage F1 EQ :
Avion multi-rôle français avec une prédominance pour le combat aérien, le Mirage F1 a eu son heure de gloire dans les années 80. Bon chasseur, il a su donner du fil à retordre aux F-14 américains lors d’escarmouches au large de la Libye. Moins bien piloté, il a connu un destin plus tragique face aux F-14 iraniens durant la guerre Iran-Irak. S’il est encore en service dans certaines forces aériennes grâce à de nombreuses campagnes de modernisation, il tire petit à petit sa révérence. Les appareils iraniens, privés des modernisations de Dassault, ont eu droit à des modernisations locales leur permettant d’utiliser des armements iraniens. Une douzaine d’appareils seraient toujours en service.
Saeqeh :
Version iranienne du F-5 Tiger avec une dérive en V. Il s’agit d’un chasseur léger et d’attaque au sol. On ne sait que peu de choses de ses capacités, mais au vu du faible nombre commandé, le pessimisme est de mise. On estime à une trentaine le nombre d’appareils en service. Ce sont les avions les plus modernes que compte la force aérienne iranienne.
MiG-29B :
Version bridée de la version export déjà bridée du chasseur-bombardier biréacteur soviétique, il reste un appareil fiable. Si les dernières versions du MiG-29, bien pilotées, peuvent être un adversaire dangereux, les appareils iraniens, non modernisés, font pâle figure en comparaison des adversaires qu’ils peuvent affronter dans la région. Le MiG-29B possède des capacités air-air surclassées et air-sol limitées. Une petite vingtaine semble être en service dans l’armée iranienne.
F-5 Tiger II :
Chasseur léger pécialisé dans la formation, il possède des capacités air-air et de frappe au sol limitées. Sa manœuvrabilité en faisait un adversaire dangereux en combat rapproché pour les autres aéronefs. Cependant, le développement des combats au-delà de l’horizon (BVR) à coup de missiles longue portée en fait une proie facile pour des chasseurs plus modernes. Il reste cependant pertinent pour la formation et la frappe au sol. Une grosse trentaine d’appareils seraient toujours en service.
F4 Phantom II :
Avion multirôle en service depuis les années 50, il aura participé à toutes les guerres menées par les États-Unis. Polyvalent, endurant et capable d’emporter une grande charge, il est un chasseur-bombardier très efficace. Cependant, les derniers utilisateurs retirent leurs appareils, lourdement modernisés, du service actif, son temps étant passé. Ce n’est pas le cas des appareils iraniens à peine modernisés localement, qui continuent de servir. S’il peut toujours servir de « camion à bombe », il fera une proie facile pour toute aviation capable et correctement équipée, ainsi que pour toute défense sol-air dans la même situation. 80 exemplaires seraient toujours en service, en faisant le principal avion de combat de la force aérienne iranienne.
F14 Tomcat :
Mythique intercepteur embarqué de l’US Navy, l’Iran en est le seul acheteur à l’international. Doté d’un excellent et puissant radar et du très bon AIM-54 Phoenix, missile à longue portée air-air, c’est un redoutable chasseur. Même s’il est dépassé dans tous ses points forts, si bien piloté, il reste encore redoutable... à condition que la République islamique ait pu produire localement un remplaçant acceptable pour l’AIM-54. En effet, le stock initial a été entièrement consommé durant la guerre Iran-Irak et aucun rachat n’a été accepté par les USA. Sans un missile à longue portée capable d’exploiter l’avantage de son puissant radar, le F14 sera une cible facile. Une quarantaine d’exemplaires seraient toujours en service.
Un hypothétique salut venu de Sibérie :
Si l’Iran a, depuis la révolution islamique, eu le plus grand mal à renouveler sa flotte aérienne, c’est aussi bien pour des raisons budgétaires que politiques. En effet, rares étaient les nations voulant frayer avec un régime théocratique autoritaire vu comme un danger aussi bien par l’Ouest que par l’Est, à l’exception notable de la Chine, mais dont la production aérienne était médiocre. Si cette aura de pestiféré a eu tendance à s’émousser au cours de la décennie 90, le programme nucléaire et les sanctions américaines, la rivalité exacerbée avec Israël et le soutien plus ou moins assumé à certains groupes ou acteurs terroristes ont de nouveau rendu les vendeurs d’avions de combat frileux à la vente.
Cependant, la guerre en Ukraine a rebattu les cartes. Isolée, la Russie a pu compter sur le soutien sans faille de quelques pays, la Corée du Nord et l’Iran en tête. En échange de l’accès aux arsenaux de ces pays et de leurs complexes industrialo-militaires, des transferts de technologie ou de matériel militaire seraient en cours. Ainsi, pour l’Iran, le transfert d’une cinquantaine de Su-35 serait en discussion. Ce lot du chasseur multirôle de Sukhoï, dernière itération du prolifique Flanker, était initialement prévu pour l’Égypte, qui le refusa pour des raisons qui restent encore floues (peur des sanctions américaines, déceptions vis-à-vis des qualités de l’appareil…). Le transfert de Yak-130, avion d’entraînement moderne russe, tend à appuyer cette hypothèse.
Si le transfert d’un avion récent en nombre serait un plus certain pour la force iranienne, sa qualité est remise en question par ses échecs lors des compétitions internationales et sa très faible exportation qui en a découlé. Son petit frère, le Su-30, lui semblant majoritairement préféré. De plus, des rumeurs de plus en plus insistantes laissent entendre que Moscou ralentirait la livraison, voire souhaiterait l’annuler, ce qui expliquerait qu’aucun Su-35 ne soit encore dans les cieux iraniens. Les causes seraient la volonté d’utiliser les appareils pour la guerre en Ukraine, éviter une confrontation avec des appareils de facture occidentale, à l’issue sûrement néfaste pour l’image de l’appareil, et la volonté de ménager Israël. La livraison récente de missiles balistiques iraniens à la Russie pourrait rebattre les cartes ou accélérer la livraison, Moscou devenant de plus en plus l’obligé de Téhéran.
Conclusion :
Autrefois formidable outil de puissance, l’aviation de combat iranienne est aujourd’hui émoussée, presque réduite à l’impuissance. Composée de micro-flottes, un enfer pour la formation et le maintien en condition opérationnelle, on peut douter de la qualité de ses pilotes tout comme de sa capacité à faire voler dans la durée ses appareils. À cela s’ajoute l’obsolescence de l’intégralité ou presque de ses appareils datant des années 60/70 et dont la modernisation locale a été bridée par une base industrielle et technologique sous-développée pour la tâche. Si certaines pistes de renouvellement semblent s’ouvrir à l’Iran, en l’espèce son aviation de combat serait bien incapable d’opposer une résistance efficace face à une aviation moderne et compétente, à l’image de celle d’Israël, des Émirats Arabes Unis, des USA ou même du Pakistan et de la Turquie. Cet état de fait semble avoir largement poussé l’Iran à la modération lors du dernier épisode de tension avec Israël, se sachant totalement incapable, même pour une durée limitée, de tenir son rang face à Israël et encore moins face aux USA, le cas échéant.