Peu de conflits symbolisent mieux le mythe de David contre Goliath que « la guerre d'Hiver ». Opposant la petite Finlande et ses 3,7 millions d’habitants, indépendante depuis à peine plus de deux décennies, aux 170 millions de citoyens de l’URSS. Contre toute attente, ce qui devait être une opération rondement menée en quelques semaines se transforma en un sanglant affrontement s’étendant de novembre 1939 à mars 1940, où l'Armée rouge enchaîna les cuisants revers. Si les affrontements terrestres et les performances de l’infanterie à ski finlandaise connaissent une certaine célébrité, ils ont occulté en grande partie l’incroyable résistance des minuscules forces aériennes du pays. Cette performance ne fut pas démentie lors de la guerre de Continuation, qui débuta un an plus tard et qui vit cette petite force aérienne, ne dépassant jamais les deux cents chasseurs, compter une centaine d’As.
La guerre froide, une aviation entre Est et Ouest
À la suite de l’armistice de Moscou signé en 1944, la Finlande sort du deuxième conflit mondial sans connaître ni l’occupation, ni la perte totale de souveraineté que subiront les pays d’Europe de l’Est. Cependant, le traité de Paris qui la suit, en plus d’entériner les pertes territoriales de la guerre d’Hiver et de la contraindre à payer de lourdes réparations de guerre, la force à accepter ce qui sera plus tard appelé une Finlandisation. Cela se traduisant par une militarisation limitée et l’acceptation de l’appartenance à la sphère soviétique. Cette appartenance la pousse à se fournir en grande partie en matériel militaire en URSS, notamment pour son armée de terre. Elle ne renonce, toutefois, pas aux productions occidentales pour son aviation. Ainsi, vont se côtoyer durant cette période, de façon presque unique, des appareils de l’Est et de l’Ouest. Au début de la guerre froide, la Finlande se fournit auprès de la France avec l’avion d’entraînement Fouga Magister et du Royaume-Uni avec le chasseur De Havilland Vampire britannique, qui opèrent aux côtés du MiG 15 soviétique. Le durcissement de l’opposition entre les deux blocs la pousse à abandonner pour un temps ses deux fournisseurs bien trop proches de Washington pour Moscou. Afin d'accompagner ces changements, l’URSS fournit des MiG 21 à partir de 1960, faisant de la Finlande le premier pays en dehors du pacte de Varsovie à recevoir l’appareil.
Toutefois réticente à se limiter à un seul fournisseur, à qui, de plus, elle ne fait que peu confiance, la Finlande va se tourner vers la Suède et Saab pour compléter son aviation de combat. Une cinquantaine de J35 Draken voleront ainsi aux côtés de presque soixante-dix MiG 21. Neutre et n’appartenant pas, à l’époque, à l’OTAN, la Suède était un producteur acceptable pour Moscou.
Une exception eut lieu à cette politique en 1977 lorsque la Suomen Ilmavoimat se fournit encore une fois auprès du Royaume-Uni en achetant une cinquantaine d’avions d’entraînement Hawk MK51, en faisant le premier client export. La période de détente où elle eut lieu et la nature de l’appareil, principalement dédié à l’entraînement, ne provoqua pas la colère de l’Union soviétique.
Le souci de ménager Moscou disparut en 1990 avec la chute de l’URSS. Cet événement conduisit Helsinki à se fournir auprès des USA en F/A-18 Hornet, à l’image de plusieurs pays européens comme la Suisse et l’Espagne. Ils remplacèrent entre 1998 et 2000 les MiG 21 et les J35 Draken vieillissants.
La Suomen Ilmavoimat, une aviation efficace et pragmatique. Le F/A-18 C/D
Chasseur-bombardier de 4e génération produit à partir de 1983 pour l’aéronavale américaine par McDonnell Douglas, le F/A-18 C/D est un avion multi-rôle doté de capacités étendues en matière de combat air-air et sol-air. Possédant un bon radar, capable de tirer des missiles tir et oublie AIM-120 (FOX 3) et AIM-9 (Fox 2), doté d’une bonne capacité d’emport et d’un grand rayon d’action, il égale, si ce n’est surpasse, l’intégralité de ses opposants russes, à l’exception du SU-35E et du SU-57. De même pour ses capacités de frappe au sol, sa large gamme de munitions lui permet de remplir des missions de frappes dans la profondeur avec des missiles de croisière, comme des missions de soutien rapproché avec des bombes guidées par laser.
Un gros point fort du F/A-18 est sa capacité de décollage sur piste courte et sa mise en œuvre relativement simple. En effet, la Finlande ne possède qu’un nombre réduit de bases aériennes et d’aéroports. Ces derniers seront donc rapidement pris pour cible en cas de conflit, poussant l’aviation finlandaise à se réfugier sur des pistes alternatives, comme des tronçons d’autoroute ou des pistes d’aéroclub. Le F/A-18 possède des capacités de décollage court nécessaires, même sans catapulte, pour être déployé sur un porte-avions. Son grand frère, le Super Hornet, plus lourd, l’a démontré lors de la compétition pour équiper les porte-avions STOBAR indiens. De plus, sa mise en œuvre ne nécessite pas une logistique très importante, qu’un déploiement sur une base de fortune rendrait complexe. Ces faits lui ont permis de remporter le marché finlandais, mais aussi suisse. La Finlande dispose d’une flotte de 62 F/A-18 C/D.
Le BAe Hawk
Le Hawk est entré en service en Finlande en 1980 et a remplacé les appareils d’entraînement Fouga Magister et MiG-15UTI. Grâce à de nombreux programmes de modernisation, il devrait rester en service jusqu'en 2035. À partir de 2020, la Finlande dispose d’une flotte de 32 Hawks avec des cockpits améliorés permettant de réduire l'écart entre les dispositions des instruments du Hawk et du Hornet, facilitant ainsi l’apprentissage du pilotage de ce dernier. De plus, les dernières modifications, permettant le transfert de données de localisation entre les avions et l’affichage tête haute, renforcent ses capacités de combat. En effet, si le Hawk est un avion d’entraînement, il possède aussi quelques capacités de combat air-air avec la mise en œuvre de missiles à guidage infrarouge, lui permettant notamment de chasser des drones de grande taille comme le Shahed 136 ou des hélicoptères. Face à de véritables avions de combat, il sera cependant lourdement désavantagé. À cela s’ajoute une faible capacité de frappe air-sol avec la possibilité d’embarquer des bombes légères. De plus, son faible poids lui permet de décoller de pistes courtes, tandis que sa rusticité lui permet d’opérer sans une lourde logistique, en faisant un appareil tout désigné pour la stratégie finlandaise de guérilla aérienne.
La compétition HX, creuset de la modernisation de la Suomen Ilmavoimat
Si le F/A-18 C/D est un excellent appareil, il commence à subir le poids de son âge et est de plus en plus dépassé par de nouveaux appareils, autant du côté occidental que russe. Afin de garder une marge de supériorité vis-à-vis de son turbulent voisin et de pallier l’usure des appareils, la Suomen Ilmavoimat a lancé en 2015 la compétition HX visant à déterminer quel appareil remplacerait le F/A-18 C/D à l’horizon 2030. Cinq appareils furent en compétition : le Gripen de Saab, le Super Hornet de McDonnell Douglas, l’Eurofighter Typhoon de GmbH, le Rafale de Dassault et le F-35 de Lockheed Martin.
Pendant longtemps, le Super Hornet était pressenti. Par sa proximité avec le Hornet, son choix aurait grandement facilité la formation des équipages et du personnel au sol, ainsi que limité les coûts en matière de logistique, une part des pièces et des outils de soutien étant identique. Le Gripen faisait office d’outsider avec de bonnes chances de ravir le titre, tant il était adapté à la doctrine d’emploi finlandaise, notamment le déploiement depuis des pistes sommaires. De plus, son coût attractif permettait de soutenir une importante flotte à moindre coût.
À la surprise presque générale, c’est pourtant le F-35 qui remporta la compétition, malgré les nombreuses problématiques techniques qu’il rencontra lors de cette dernière et ses prestations moyennes lors des épreuves. Cela s’ajoute à son coût relativement élevé, particulièrement à l’usage. Il semblerait cependant que certaines de ses capacités attirèrent l’œil des forces aériennes finlandaises, en plus de facteurs plus stratégiques comme un resserrement des liens entre Helsinki et Washington alors que Moscou se faisait de plus en plus menaçant. L’intégration rapide de la Finlande à l’OTAN après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 en est peut-être la conséquence.
Ce choix devrait entraîner des changements importants dans la doctrine d’emploi des forces aériennes finlandaises. En effet, le F-35 a besoin d’une lourde logistique et d'infrastructures spécialisées pour sa mise en œuvre, ce qui remet en question son déploiement sur des pistes alternatives, spécialité de la Suomen Ilmavoimat. De plus, son rayon d’action limité et l’absence de bidons largables pour préserver sa furtivité, son principal atout, seront une faiblesse pour assurer la défense d’un pays aussi vaste que la Finlande et rendront la protection des bases aériennes encore plus vitale. La perte d’une seule d'entre elles pourrait conduire une partie du pays à être privée de couverture aérienne, le F-35 n’ayant pas l’allonge pour couvrir tout le territoire.
Si ce choix pose des difficultés, il offre aussi certains avantages. Sa furtivité devrait lui permettre d’opérer dans des zones lourdement couvertes par la défense sol-air russe, comme peuvent l’être les bastions de Mourmansk et de Saint-Pétersbourg, qui encadrent la Finlande au nord et au sud. Ainsi, le F-35 devrait favoriser une stratégie plus offensive, en permettant l’attaque de ces deux lieux hautement stratégiques, qui serviraient de pivots logistiques en cas d’invasion de la Finlande.
Qu’il soit le symbole d’un changement de doctrine ou d’un rapprochement avec Washington, le F-35 formera l’épine dorsale de la Suomen Ilmavoimat jusqu’en 2060.