L’arme blindée japonaise au 21e siècle

Le char est sans aucun doute le matériel militaire le plus iconique de l’arsenal des forces armées. Annoncé comme mort à de nombreuses reprises, il a su s’adapter pour dépasser tous les obstacles mis sur son chemin et reste encore aujourd’hui au cœur des opérations, comme le démontre le conflit russo-ukrainien. Les forces japonaises n’échappent pas à cette règle, même si leur cheminement s’est souvent fait à rebours de celui de leurs alliés.

Les origines de l’arme blindée nippone :

Durant le second conflit mondial, les différentes armes de l’armée impériale japonaise se livrèrent une compétition féroce, tant pour l’attribution des ressources (budgétaires, industrielles…) que pour l’orientation de la stratégie du pays. La marine impériale militait pour une expansion en Asie du Sud-Est et dans les colonies européennes, notamment les Indes néerlandaises et leurs riches gisements d’hydrocarbures. À l’opposé, l’armée impériale était partisane d’une expansion en Chine et au nord, vers la Sibérie soviétique, renouant avec les ambitions de la guerre de 1905.

Dans l’optique de forcer la main au gouvernement central, l’armée du Kwantung mit en place une stratégie du fait accompli, spécialité de l’armée impériale, largement utilisée au cours des années précédentes, dont l’annexion de la Mandchourie fut le résultat le plus brillant. La bataille du lac Khassan est le premier acte de cette volonté, qui se poursuivra avec la bataille de Khalkhin Gol. Si la première bataille est une défaite encourageante, la seconde est un terrible revers qui remet en question la capacité de l’armée impériale à vaincre l’Armée rouge. Ce qui conduira à l’abandon de son plan d’expansion au profit de celui promu par la marine.

L’une des nombreuses raisons de ces échecs (bien que non principale) réside dans la qualité de l’arme blindée japonaise et sa doctrine d’emploi, largement inférieures à celles des Soviétiques. L’écart se creusera par la suite, alors que la marine japonaise reçoit la majorité des ressources au détriment de l’armée impériale et de son programme de développement de chars qui, bien qu’ils soient un atout contre la Chine, resteront largement inférieurs aux productions alliées et allemandes. Ce différentiel sera lourdement démontré lors de la campagne finale de Mandchourie en 1945, qui verra l’Armée rouge écraser l’armée impériale.

La guerre froide, origine de l’arme blindée japonaise moderne :

Par la suite, l’armée impériale renaîtra sous sa forme actuelle des « Forces terrestres d'autodéfense japonaises », équipées dans un premier temps de matériel américain. Avec le miracle économique japonais et une guerre froide qui perdure, le gouvernement nippon décide d’équiper ces forces avec une production locale, afin de contrebalancer la dépendance à l’allié américain. Si la nature insulaire du Japon voit encore une fois la priorité donnée à la marine et aux forces aériennes, la vocation exclusivement défensive de l’armée japonaise impose une force terrestre capable de repousser les éventuels débarquements. Des crédits sont donc débloqués pour le développement de chars qui devront être plus adaptés aux spécificités du terrain japonais que leurs homologues américains alors en service.

La fin de la guerre froide ne mettra pas un terme aux développements des chars japonais, mais aussi coréens, contrairement à la majorité des pays occidentaux. La Chine connaît une croissance économique n’ayant d’égal que le développement de ses forces armées, tandis que la Corée du Nord, après la terrible décennie 90, développe de nouveau sa rhétorique belliqueuse, ce qui représente deux menaces majeures.

Ainsi, les « Forces terrestres d'autodéfense japonaises » ne comptent pas un char de combat principal comme la majorité des armées occidentales, mais deux, ainsi qu’un char léger.

L’arme blindée japonaise, un arsenal vaste et complémentaire :

La désignation des chars japonais se compose du terme « Type » auquel s’ajoutent les deux derniers chiffres de l’année du début de la production. Ainsi, le Type 74 a commencé à être produit en 1974, tandis que le Type 10 en 2010.

Le Type 90 Kyū-maru :

Le Type 90 est le premier et unique char de troisième génération japonais. Il vient remplacer les vieillissants Type 74, dont le faible blindage les rendait très vulnérables sur le champ de bataille. Cependant, cette meilleure protection se fera au détriment de son poids, passant de 38 tonnes à 50 tonnes. Si 50 tonnes peuvent paraître raisonnables pour un MBT occidental de troisième génération, elles représentent une problématique pour un pays à la géographie aussi torturée que le Japon. De plus, les infrastructures, construites pour résister aux séismes tout en s’adaptant aux terrains difficiles, ne permettent pas toujours de supporter le passage de blindés aussi lourds, en particulier les ponts. Cela limite donc principalement le Type 90 à l’île d’Hokkaido où est basée la 7e division blindée, la seule du pays. Si cela était cohérent dans les années 90, l’île étant la cible la plus évidente en cas d’invasion soviétique, cela l’est beaucoup moins en 2024, alors que la menace principale vient de Chine, dont les points d’attaque se situent plutôt aux îles Senkaku, voire à Kyushu.

Le Type 10 Hitomaru :

Le Type 10 est la réponse du complexe militaro-industriel japonais à cette problématique. Plus léger de 7 tonnes (43 tonnes), il peut opérer sur la majorité du territoire, dont l’île de Kyushu, principale porte d’invasion en cas d’attaque chinoise, où il est déployé en nombre. Le Type 10 est aussi plus moderne, appartenant à la 4e génération. Cependant, il paie sa masse plus faible et sa plus grande mobilité par une protection plus légère, ce qui ne représente pas une grande problématique. En effet, le char a pour mission de repousser les invasions navales, dont la composante blindée est légèrement protégée et armée, assaut sur une plage obligeant, ce qui devrait lui offrir un avantage dans ces deux domaines, déterminants. Dans les cas où une tête de pont serait établie et du matériel plus lourd déployé par les envahisseurs, des modules annexes de blindage supplémentaire sont disponibles, faisant cependant passer le poids à 48 tonnes, le rapprochant du Type 90. Aucun système de défense « hard kill » n’est intégré, contrairement aux autres modèles de 4e génération disponibles sur le marché, ce qui en fait une anomalie, tant ce genre de dispositif augmente la survivabilité des véhicules et de leurs équipages au combat. Si un modèle était à l’essai en 2021, aucune nouvelle de ce dernier n’a fuité jusqu’à ce jour, laissant craindre un abandon du projet.

Le Type 16 Maneuver Combat Vehicle :

Conçu à partir du châssis du transport de troupes Komatsu Type 96, le Type 16 est un véhicule de reconnaissance et d’appui-feu à roues. Bien plus léger (26 tonnes) et moins armé (canon de 105 mm) et blindé que les MBT Type 90 et 10 (canon de 120 mm), il a pour mission principale d’appuyer les unités d’infanterie et de mener des missions de reconnaissance en force. Sa mobilité et sa facilité de déploiement (il est aérotransportable dans des avions de transport moyens) en font un véhicule très apprécié pour répondre à des situations d’urgence, d’où son utilisation au sein de la 12e brigade de réaction rapide. Parfaitement adapté à la géographie difficile du pays, sa mobilité lui permet de surclasser des chars mieux blindés et armés mais moins adaptés au terrain, comme peuvent l’être les MBT chinois. De plus, son faible poids en fait un outil de choix pour les opérations amphibies de contre-attaque que pourrait mener le Japon, notamment aux îles disputées des Senkaku. En effet, plusieurs de ces îles sont revendiquées par des puissances étrangères, et ces dernières pourraient mener des opérations militaires limitées afin de les conquérir, utilisant la politique du fait accompli. Son faible poids lui permet d’être embarqué en nombre dans les aéroglisseurs des forces amphibies japonaises, et réduit les risques d’enlisement sur le sable des plages.

En conclusion :

Contrairement aux autres puissances occidentales, le Japon n’a jamais renoncé au développement de sa force blindée ni remis en cause son utilité. De ce fait, il possède la gamme la plus vaste et la plus spécialisée du « bloc Ouest ». Cependant, alors que des prototypes de chars de 5e génération tirant les premières leçons de la guerre en Ukraine sortent des entreprises européennes, le Japon reste silencieux. Fait d’autant plus étonnant que le budget de la défense japonaise ne cesse d’augmenter. L’explication la plus logique semble résider dans le changement de paradigme du Japon. Jusqu’alors pacifique et tourné vers sa seule défense, le pays du Soleil-Levant abandonne de plus en plus sa doctrine du passé pour se tourner vers un interventionnisme limité, élargissant sa défense à celle de ses alliés régionaux. Cela se traduit par le rapprochement avec Taiwan notamment en matière de défense et par l’apaisement des tensions avec la Corée du sud, les différents historiques étant mis de côté sur l’autel du front commun face à la menace nord-coréenne. 

De ce fait, le char, arme ironiquement défensive pour le japon, n’est plus la priorité. Cette dernière étant de nouveau la marine et les forces aériennes, les principales armes de projection de puissance dans une zone principalement maritime. Si les chances que l’arme blindée soit abandonnée sont minces, elles risquent de souffrir d’un certain manque d’ambition dans les années à venir, peut être contrebalancé par un développement du Type 16 visant à en faire un véritable char amphibie afin de soutenir d’éventuels opérations expéditionnaires.

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Auteur(s)

Thomas

Lacoste

Master 2
Ut 1 Capitole

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Pour citer ce baratin :
Thomas Lacoste, "L’arme blindée japonaise au 21e siècle", [en ligne] BARA think tank, Sep 04, 2024, "https://www.bara-think-tank.com/post/larme-blindee-japonaise-au-21e-siecle"