Le Bénin est l’exemple de la démocratisation réussie des Etats en Afrique de l’Ouest. Au début des années 1990, la fin en douceur de la dictature marxiste de Mathieu Kérékou et la passation du pouvoir sans heurts en faveur de Nicéphore Soglo est un acte fondateur pour ce pays considéré depuis comme modèle démocratique d’Afrique de l’Ouest francophone1. Pays du Sud du Sahel, région historiquement
sous influence française en raison de la colonisation puis de la « françafrique », le Bénin est entouré de voisins où règnent instabilité politique et conflits armés en grande partie à cause de groupes djihadistes présents au Sahel. Plusieurs coups d’Etat ont eu lieu dans la région depuis 2020 au Mali, Niger et Burkina Faso, mettant à mal la présence militaire française et en dépit de la présence du groupe Wagner, sensée remplacer les troupes françaises après leur départ pour combattre les djihadistes2. Parallèlement à ces pays, le Bénin apparaît comme un havre de stabilité politique. Toutefois, le pays est loin de connaître un long fleuve tranquille et de nombreux dangers venant de l’intérieur et l’extérieur le menacent. Les différents groupes terroristes seront présentés en premier puis les troubles politico-sociaux seront abordés.
Les menaces terroristes planant au-dessus du Bénin.
Le Bénin n’est pas le seul Etat concerné par la lutte contre le terrorisme au Sahel, loin de là. Il s’est néanmoins distingué par sa capacité à restaurer son autorité sur son territoire national, une chose exceptionnelle en soi alors que les groupes prolifèrent dans les pays voisins. En effet, différents groupes djihadistes, parfois concurrents, ont déjà agi au Bénin et agissent toujours par incursion depuis les Etats voisins. Les principales menaces sont le groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM), l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS) et, dans une moindre mesure, Ansaru. L’existence de ces différents groupes tient notamment à des divergences d’interprétation et d’application de la charia. Le JNIM s’est constitué en réaction à l’arrivée de l’EIGS dans la région car il est affilié à Daech et souhaite une application plus stricte de la charia que les groupes du JNIM.
Le JNIM est une fédération de groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda qui a été fondée en 20173. Il s’est d’abord développé au Niger et Burkina Faso avant de s’étendre officiellement au Bénin en 20214. Il est donc principalement localisé sur la frontière Nord Ouest du pays. A l’Est, un autre groupe ayant prêté allégeance à Al-Qaïda menace le Bénin. Il s’agit d’Ansaru, une branche sécessionniste de Boko Haram. D’abord installée autour du lac Tchad, elle s’est progressivement développée à l’Ouest du Nigéria, se rapprochant de la frontière Est du Bénin. Les liens entre le JNIM et Ansaru laissent craindre la volonté de ces groupes d’établir une jonction qui pourraient se faire au Bénin5. Le JNIM a déjà fait de nombreuses victimes au Bénin et son implication dans des attaques précédant 2021 est soupçonnée6. Les activités de l’EIGS semblent plus tardives. En effet, les premières attaques revendiquées par ce groupe ont eu lieu en septembre 2023 lors d’attaques dirigées contre des militaires béninois7. En réaction à ces actes terroristes, environ 3000 hommes des Forces Armées Béninoises (FAB) sont déployés dans le la zone dite « WAPO » en 2021 où se sont produit plusieurs attaques meurtrières. C’est le début de l’opération « Mirador »8. Cette opération a permis le rétablissement du contrôle des FAB dans le Nord du pays, y compris dans des zones contestées telle Koulou-Kouarou, poche de 68km² revendiquée par le Bénin et le Burkina Faso et qui servait de base arrière pour les terroristes agissant au Bénin9. Néanmoins, des attaques ponctuelles sont toujours à déplorer comme en juillet 2024 dans le parc du W faisant plusieurs morts chez les FAB et les Rangers protégeant le parc10. Différents acteurs internationaux interviennent pour soutenir les efforts du gouvernement béninois dans la lutte contre le terrorisme comme c’est le cas de l’Union Européenne qui a débloqué une aide atteignant 35 millions d’euros en juillet 202411. Enfin, la présence des terroristes au Bénin alimente la stigmatisation envers l’ethnie Peule. Ce groupe ethnique exerce traditionnellement la profession de pasteur et doit trouver des pâturages pour son bétail. Des conflits aux dimensions communautaire et ethnique entre pasteurs et agriculteurs ou chasseurs Odés sont donc fréquents, surtout dans le Nord du pays12. Ces
conflits renforcent le sentiment de rejet au sein de la communauté peule, poussant certains individus à la radicalisation où simplement à chercher une nouvelle activité qu’ils trouvent auprès des groupes terroristes. L’ethnie peule est régulièrement assimilée aux rebelles ou terroristes dans les Etats sahéliens. Ce sentiment de rejet présent également au Bénin risque de favoriser le recrutement de Peuls par des groupes terroristes13.
A ces menaces terroristes caractéristiques de la région s’ajoutent à présent des tentatives de déstabilisation du pouvoir du Président de la République, Patrice Talon.
Réformes, manifestations, maintien de l’ordre et répressions jusqu’au « coup d’Etat » ?
L’accession de Patrice Talon à la présidence de la République du Bénin en 2016 marque un certain tournant autoritaire. En effet, à coup de réformes électorales, certains partis de l’opposition ont été exclus du processus démocratique. Aux élections législatives de 2019, seulement deux partis ont été autorisés par la commission électorale nationale autonome (CENA) à présenter leurs listes. Ces deux partis constituent le camp présidentiel. Ainsi, aucun parti d’opposition n’a pu présenter de candidats14. Des marches pacifiques ont été organisées en amont des élections pour protester contre cette décision de la CENA, puis des manifestations violentes post électorale ont mené à une sévère répression des forces de l’ordre faisant quatre morts et des blessés15. Début 2024, une nouvelle réforme électorale doit être débattue en prévision de l’année 2026 au cours de laquelle élections municipales, législatives (février
2026) et présidentielle (avril ou mai : à définir) doivent se tenir. Toutes ces élections étant conscrites en un temps restreint et l’élection présidentielle devant se tenir après les deux autres, une problématique s’est dégagée rapidement : auprès de quels élus les candidats à la présidentielle devront faire campagne pour recueillir le nombre de parrainages nécessaire au dépôt de leur candidature ? En effet, s’ils doivent demander les parrainages aux maires et députés ayant été élus aux élections municipales et législatives de 2026, le temps imparti jusqu’à la présidentielle serait trop court16. Ainsi, une réforme du code électorale a été adoptée en mars conformément à la Constitution d’après la Cour Constitutionnelle17. Néanmoins les critiques sont vives quant à cette décision puisque les conditions pour pouvoir être candidat à l’élection présidentielle sont durcies. Une discipline partisane stricte devra être respectée lors des parrainages ce qui risque de compliquer le dépôt de candidatures de candidats représentant des partis plus modestes que ceux du camp présidentiel et du principal parti d’opposition 18. Il faut ajouter à ces troubles politiques des manifestations, une nouvelle fois réprimées par les forces de l’ordre, contre la vie chère en avril et mai19, ce qui témoigne d’un sentiment de colère au sein de la société béninoise.
Enfin, le Président Patrice Talon, arrivant au terme de son second mandat en 2026, ne pourra plus se présenter d’après la Constitution. Ainsi, la question de sa succession se pose et certains ne craignent pas de partager leurs ambitions publiquement. C’est le cas d’Olivier Boko, homme d’affaire proche du Président depuis de nombreuses années et pièce majeure du système bien qu’il n’occupe pas de poste à responsabilité politique. Il était pressenti comme candidat sérieux à la succession de Patrice Talon et ne manquait pas de soutiens. En effet, l’ex-ministre des Sports du gouvernement de Patrice Talon, Oswald Homéky, avait fait part de son intention de soutenir Olivier Boko dès 2023. Il a ensuite démissionné de son poste20. Les deux hommes, arrêtés mercredi 25 septembre avec le commandant de la garde républicaine, auraient prévu de renverser Patrice Talon avant l’échéance de son mandat. Selon la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), ils auraient essayé de corrompre le commandant de la garde républicaine afin qu’il les aide dans leur entreprise de « coup d’Etat ». Ce dernier aurait dû avoir lieu vendredi 27 septembre. Le commandant aurait refusé de s’y associer d’après la justice. Il a donc été relâché sans être mis en examen et n’a été qu’interrogé comme simple témoin21. Ainsi, il semble que Patrice Talon veille à garder un certain contrôle sur sa succession et qu’il ne devrait pas abdiquer avant l’échéance de son mandat malgré les nombreuses critiques dont il est l’objet depuis 5 ans.
Ainsi, les menaces terroristes sont toujours d’actualité et le gouvernement de Patrice Talon continue de lutter aux frontières pour empêcher les terroristes d’infiltrer le territoire national avec l’aide de la communauté internationale. On constate également que la menace terroriste ne vise pas seulement des victimes civiles ou militaires béninoises mais cherche aussi à diviser la société en attisant les tensions préexistantes entre certaines communautés. Cette amplification des rivalités communautaires permet aux djihadistes d’augmenter leur influence et leurs capacités de recrutement non seulement au Bénin, mais aussi dans d’autres Etats où l’ethnie peule est stigmatisée. A cela s’ajoute les déstabilisations au plus haut niveau de l’Etat avec un Président qui est pris pour cible et dont la succession est de plus en plus convoitée. Ou bien se croit-il pris pour cible et souhaite évincer certaines personnalités trop populaires à son goût. Certains pans encore obscurs de cette tentative de « coup d’Etat » doivent être éclaircis et les avocats d’Olivier Boko et Oswald Homéky n’ont certainement pas dit leur dernier mot.