Manifestation anti-trump à Chicago en 2018

"Si les traditionnels soutiens de Vladimir Poutine mettent en avant l’idée d’une paix, c’est qu’elle profitera avant tout à la Russie."

Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant. “Là où ils font un désert, ils appellent cela la paix”. Cette locution latine provient des provinces périphériques de Rome. Elle critiquait à l’époque le prix de la pax romana, qui était souvent synonyme de territoires ravagés par les conflits. Aujourd'hui, cette locution semble pouvoir s'appliquer à l’avenir du conflit ukrainien et au projet d’un processus de paix. 

En effet, selon les récentes déclarations de Viktor Orban ou Donald Trump, ces derniers souhaiteraient se diriger au plus vite vers un processus de paix concernant le conflit ukrainien. Ce dernier aurait lieu dès que possible, ce que l’on peut supposer être à la  probable réélection de Donald Trump et son entrée en fonction début 2025. 

La proximité de ces dirigeants, et en particulier de Viktor Orban, vis-à-vis du Kremlin n’est plus à prouver. On peut ainsi légitimement supposer qu’une paix serait dans l’intérêt de la Russie. Qu’en est-il?

La guerre en Ukraine s’est progressivement transformée en une guerre d’attrition, à savoir une guerre d’usure, où les ressources à disposition des acteurs sont particulièrement déterminantes dans l’issue du conflit. À ce jeu là, l’Ukraine semble être perdante. Le soutien de la part des pays de l’Union européenne comme des États-Unis est soumis aux conjonctures politiques, le rendant instable et trop lent au goût des Ukrainiens. De plus, démographiquement, l’Ukraine possède environ 40 millions d’habitants face à une Russie en possédant plus de 140 millions. On pourrait donc croire qu’une paix serait alors dans l’intérêt ukrainien et moins dans celui de la Russie. 

Néanmoins, plusieurs motifs me poussent à penser le contraire.

Tout d’abord, pour qu’une paix soit durable, les deux partis doivent s’en estimer satisfaits. L’Ukraine comme la Russie doivent alors avoir intérêt, selon leurs propres perspectives, à l’obtention et au maintien de cette paix. Or, cela est loin d’être acquis. 

La principale question qui devra être résolue dans cet hypothétique processus de paix est celle des territoires. Il est très difficile d’imaginer une Ukraine qui accepte de concéder les territoires actuellement occupés par la Russie. Sans mentionner les “Républiques populaires” séparatistes prorusses de Lougansk et Donetsk qui sont des cas à part, l’ensemble des conquêtes militaires russes représente 20% du territoire ukrainien. Ainsi, s’il est très peu envisageable que l’Ukraine cède sur ces territoires, il est tout aussi peu envisageable que la Russie accepte de les rétrocéder. 

En effet, la question des conditions russes lors d’un processus de paix est délicate. Elle entraîne plus généralement la question des buts de guerre russe en ayant lancé l’offensive le 24 février 2022. Outre le discours très idéologique de “dénazification”, les buts de guerre tels que le mentionne Poutine officiellement sont la démilitarisation et le retour à la neutralité ukrainienne dans une perspective de choc des blocs entre l’OTAN et la Russie. 

Néanmoins, cette conception des objectifs russes paraît à bien des égards trop restrictive. L’agressivité dont le Kremlin fait preuve, par des moyens subversifs, vis-à-vis de l’Europe de manière générale, et le début de l’offensive russe s’étant notamment concentré sur Kiev, il est clair que la Russie ne cherche pas seulement à instaurer une “zone neutre”. La Russie s’inscrit en réalité bien plus dans une perspective impérialiste, en voulant restaurer son influence dans les PECO (Pays d’Europe Centrale et Orientale) et, a minima, déstabiliser l’Union européenne. La manière dont la Russie a balayé d’un revers de la main les accords de Minsk trois jours avant de lancer son opération militaire spéciale témoigne à elle seule des réelles volontés de la Russie. 

Si nous considérons de tels objectifs, alors, une paix délabrée serait en réalité dans l’intérêt de la Russie. La Russie, même si elle obtient l’entièreté du territoire qu’elle occupe militairement, aurait intérêt à remettre en question le statu quo.

Vladimir Poutine le premier ne pourrait se satisfaire de ce seul gain territorial. Comment s’assurer du soutien de la population russe avec un bilan où des centaines de milliers de russes sont morts et seulement 20% du territoire ukrainien aurait été conquis.

Par ailleurs, au vu de la place qu’accorde la Russie aux rapports de forces, en particulier militaire, dans son analyse des relations internationales, sa crédibilité serait elle-même compromise. 

Ainsi, si ce plan de paix aboutit, il fera office de cessez-le-feu bien plus que de paix. Il permettrait en réalité à une armée russe prouvée au combat de profiter pleinement de ses retours sur expérience tout en reconstituant ses stocks d’hommes, de munitions et de matériel. À l’inverse, le soutien à l’Ukraine, dont la pérennité est déjà difficile à assurer en temps de guerre, le serait encore davantage en cas d’une paix de façade. Les opinions publiques pourraient voir le conflit comme terminé, la menace russe comme moins immédiate et donc seraient moins enclines à considérer l’aide à l’Ukraine comme une priorité. Il deviendrait ainsi beaucoup plus facile pour la Russie de regagner l’avantage. 

Il ne faut pas être dupe : si les traditionnels soutiens de Vladimir Poutine mettent en avant l’idée d’une paix, c’est qu’elle profitera avant tout à la Russie.

Il paraît de plus en plus nécessaire de considérer ce scénario alors que Donald Trump se rapproche dangereusement de la Maison Blanche. Outre ses déclarations sur cette paix, son scepticisme vis-à-vis de l’OTAN et l’hypothétique retrait, de facto ou officiel, de l’organisation s’il vient à être élu, abondent dans le sens de cette paix de façade.  

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Auteur(s)

Sebastien

Masson

Deuxième année
Sciences Po Strasbourg

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Pour citer ce baragouin
Sebastien Masson, ""Si les traditionnels soutiens de Vladimir Poutine mettent en avant l’idée d’une paix, c’est qu’elle profitera avant tout à la Russie."", [en ligne], BARA think tank, Jul 17, 2024, "https://www.bara-think-tank.com/baragouin/plan-de-paix-en-ukraine"