Le débat public français et la fenêtre d’Overton

Article publié le Apr 14, 2025
Vladimir Gilg
3e année à Sciences Po Strasbourg
Pour citer ce baragouin :
Vladimir Gilg, "Le débat public français et la fenêtre d’Overton", BARA think tank, publié le Apr 14, 2025, [le-debat-public-francais-et-la-fenetre-doverton]

I- Qu’est-ce que la fenêtre d’Overton ? 

Formule développée par le lobbyiste conservateur américain Joseph P. Overton dans les années 1990, la fenêtre d’Overton désigne « le spectre d’idées acceptables par la société ». Ce concept est notamment utilisé en politique pour déterminer ce qui est dicible ou non dans une société à un moment T, comme l’explique le politologue Clément Viktorovitch au micro de RTL. 

L’idée est simple : on prend un ensemble de propositions formulées concomitamment sur un thème donné et on les classe sur une échelle à deux pôles, en général allant du pôle des positions considérées comme « progressistes » au pôle des idées considérées comme « réactionnaires ». En fonction de leur distance à la fenêtre d’Overton, celles-ci sont plus ou moins acceptables ou populaires. 

Cette formule, malgré ses limites, nous permet de mettre en évidence le fait que l’acceptabilité des propositions politiques est fluctuante et que le « curseur » que représente cette fenêtre peut se déplacer, s’élargir ou se rétracter sur cet axe. Il existe alors trois stratégies : l’élargir en formulant des propositions volontairement en dehors de ce cadre, la rétrécir en s’attaquant à certaines propositions au sein de la fenêtre ou bien la conforter en appuyant les idées déjà acceptées ou populaires.

II- Pourquoi on en parle ?

Assis derrière son micro, Pascal Praud entame sa question sur le thème du narcotrafic et des mineurs délinquants en se cachant derrière « une partie de l’opinion publique française » pour finalement demander au Garde des Sceaux Gérald Darmanin : « Est-ce que vous avez pensé à rouvrir des bagnes ? ». Quelques mois plus tard, le président des députés Les Républicains à l’Assemblée nationale, Laurent Wauquiez, propose, lui, d’enfermer les personnes frappées d’OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon. 

Ces propositions, qui font écho aux heures les plus sombres de la France et de l’époque coloniale, sont bien entendu inacceptables et inenvisageables par de très nombreux aspects. Nous n’aurons malheureusement pas le temps de tous les traiter mais rappelons simplement que le bagne est un établissement pénitentiaire de travail forcé dans des conditions inhumaines, situées dans un territoire souvent éloigné de la métropole. Une telle mesure serait donc contraire, entre autres, à notre Constitution ainsi qu’à la Convention Européenne des Droits de l’Homme, notamment à son article 4 stipulant que « nul ne peut être traité comme un esclave ou être obligé d’accomplir un travail forcé ». 

À l’occasion de ces sorties médiatiques, et notamment après la question de Pascal Praud, le concept de fenêtre d’Overton a été évoqué afin d’expliquer pourquoi et à quelles fins de telles propositions invraisemblables et démagogues sont formulées. Nombreux sont les commentateurs qui ont analysé ces événements comme l’émanation d’une stratégie d’élargissement de la fenêtre d’Overton et non comme des propositions sérieuses pouvant réellement être mises en place. 

III- Quelles conséquences sur le débat public français ?

Pour comprendre l’utilité de ces formules exagérées, il faut revenir sur le fonctionnement et l’utilité de la fenêtre d’Overton. Toute proposition ne peut être sérieusement envisagée sans être profondément impopulaire et sans rendre la majorité de l’opinion publique hostile à celle-ci. Cependant, à force de persévérance et d’outrance, la fenêtre s’élargit malgré tout vers l’inacceptable et transforme profondément le paysage du dicible dans le débat public.

L’objectif de ces phrases choc qui parsèment le débat public en France n’est donc pas tant de formuler de réelles propositions pour lutter contre les problèmes concrets qu’elles prétendent combattre. La stratégie ici est bien de rendre davantage acceptable des idées plus « modérées » mais qui pouvaient par le passé être considérées comme radicales afin de les rendre sinon populaires du moins plus politiquement correctes. 

À l’avenir, peut-être verrons-nous ainsi fleurir des « solutions » rétrogrades sur la gestion des OQTF ou des mineurs délinquants. La mise en place de véritables camps dans des conditions dégradées et dégradantes sera-t-elle devenue envisageable du fait de ces discours, sur le modèle salvadorien par exemple ? En tout cas, certains des soutiens de Laurent Wauquiez soutiennent déjà la réouverture du bagne de Cayenne. Seul l’avenir nous dira donc si ces tentatives de rendre l’inacceptable populaire seront couronnées de succès et si l’opinion publique laissera la fenêtre d’Overton devenir une véranda ouverte sur l’actuel impensable.

Afficher les sources