L’avenir, c’était lui.
En marche : voici le nom que portait le mouvement d’Emmanuel Macron pendant la campagne des élections présidentielles de 2017. En marche vers quoi ? En marche vers un nouveau monde, résolument. « Bâtir une nouvelle France » était d’ailleurs l’objectif mis en avant sur la première page du programme du candidat. La promesse était forte, ambitieuse, séduisante ; s’extirper d’une logique bipartite, rompre avec les dernières décennies politiquement immobilistes. Oui, collectivement envoyer valser Chirac, Jospin, Sarkozy, Hollande, Josrac, Chispin, Sarkhollande… et courir, tous, vers l’horizon du progrès, mus par un espoir inextinguible, et la vitalité d’un esprit de réformation inébranlable.
Lors de l’annonce de sa candidature à Bobigny le 16 novembre 2016, Emmanuel Macron a on ne peut plus clairement formalisé cette volonté de renouvellement, en expliquant, faisant référence au monde du XXIe siècle, que la « transformation que nous sommes en train de vivre, nous ne pouvons y répondre avec les mêmes hommes et les mêmes idées, parce qu'elle vient encore décupler nos faiblesses ».
Sept ans plus tard, le cacochyme Michel Barnier, un des derniers fossiles collectors rémanents d’une droite apraxique, est nommé premier ministre. Et celui-ci s’est empressé d’annoncer « On ne va pas faire de miracles ». Le parallèle est terrible.
Mais ce n’est pas le Président de la République qui a choisi, nous dira-t-on, il aurait été pressurisé dans son choix : confronté, hélas, avec toute la bonne volonté du monde, à une Assemblée-pétaudière se revendiquant, pour la première fois de ses deux mandats, incontrôlable par sa propre personne. Il n’y avait pas le choix. C’était la solution, Barnier, forcément, l’unique combinaison arithmétique viable, la voix de la raison.
Bien sûr que non, il y avait tous les choix sauf Michel Barnier, et sa nomination résonne comme un pied de nez adressé au seul message du résultat des dernières élections législatives. Pas plus altermondialiste que nationaliste, le 7 juillet tenait finalement pour véritable idéologie fédératrice un anti-macronisme intrinsèque, fermenté, maturé, ruminé. Quelle que soit l’interprétation partisane que l’on s’en fabrique, la marque de lunettes que l’on se plaise à revêtir pour le lire, on décèle nécessairement dans ce dimanche de scrutin le souhait viscéral d’un changement de direction. Doit-on rappeler que la formation Renaissance n’a à elle seule même pas obtenu cent sièges ? Il fallait un homme neuf : l’heureux élu a vécu comme neuf hommes. « Renaissance » était donc à prendre au pied de la lettre !
Avec la mise en avant de Michel Barnier, Emmanuel Macron continue en vérité de révéler, comme il l’a fait décision après décision le long de ses mandats, son obsession fondamentale à contrôler les choses de lui-même, à surprendre, ne rien se laisser dicter. La dissolution de l’Assemblée, en contre-pied stratégique total, va
naturellement en ce sens, mais si l’on remonte plus loin, dans un registre différent, le choix de Jean Castex en 2020 était également totalement imprévisible. Ici, les noms de Cazeneuve et de Bertrand, qui frottaient déjà leurs paumes de main avec avidité, circulaient bien abondamment. Le nom du Nouveau Front Populaire, enivré par sa courte et pénible victoire sur béquille, s’échangeait aussi sans barrière. S’il y avait eu Castex, c’est qu’il n’allait pas y avoir Castets, malgré toute
l’impatience enfermée dans ses vociférations tragicomiques et navrantes, qui s’intensifiaient à mesure que les jours défilaient, et que ses congés payés s’égrenaient, exploitée de A à Z comme idiote utile par la gauche, simple clé à molette du boulon des tensions internes. De la même manière, si les résultats du 7 juillet avaient porté le Rassemblement National à 200 députés, cette vieille droite extrême transformiste
aurait sans doute réclamé la même chose, pathétique âne bâté à moitié bouc galopant depuis cinquante ans derrière la carotte du pouvoir, ne sachant plus quoi faire pour se retirer les cornes : un premier ministre, pitié ! Et il n’y aurait pas eu Bardella non plus.
La nomination de Michel Barnier enfonce également le dernier clou dans le cercueil du projet initial d’En marche, entérine le dernier souffle de la chétive philosophie politique macronienne.
Se posant en parangon du progressisme, Emmanuel Macron a dans les faits, chaque jour au pouvoir, épousé un conservatisme absolu sans en dire le nom. Un conservatisme pur, au sens littéral du terme, en faveur du maintien de tout ce qui est en place. Effectivement, pourquoi s’entêter à modifier les institutions, à appliquer cette « démocratie rénovée » écrite noir sur blanc dans son programme de 2017, coller à la promesse ayant fait que le peuple l’ait placé là où il siège aujourd’hui, si c’est pour prendre le risque de s’en faire expulser juste après ?
Emmanuel Macron demeurera éternellement le plus pur et abouti produit du système de la Cinquième République, en ce que la politique qu’il exerce est, ainsi que l’ensemble recoupé de ses déclarations émiettées, la manière la plus scientifiquement exacte de se maintenir à ses fonctions. Si limite des mandats il n’y avait pas, nul doute qu’il se ferait réélire tout le long des cinquante années à venir ! Initiateur de la fragmentation en trois de la politique française et représentant du bloc central, il est mécaniquement, dans le cadre d’un second tour d’une élection à l’échelle nationale entre exactement deux candidats, virtuellement imbattable, à la fois aidé par et alimentant lui-même la faible porosité entre le bloc de gauche et le bloc de droite (que celle-ci se vérifie effectivement par des différences tangibles ou qu’elle soit simplement artificialisée par la fétichisation du totem d’un anti-lepénisme exacerbé par l’ennui et la quête de sens des générations post-soixante-huitardes).
Et une fois au pouvoir, le Président Macron dispose, grâce au confort de sa fonction octroyé par la conception dualiste de la Constitution de la Cinquième République, de tous les instruments explicites (choix du premier ministre, irresponsabilité devant le Parlement…) ou tacites (désignation de membres du Conseil Constitutionnel impliquant l’existence d’un contrat humain turpide de favorisation de sa politique législative par les juges concernés), pour exercer son mandat sereinement.
En définitive, Michel Barnier est peut-être le choix d’Emmanuel Macron le plus aligné sur sa pensée caméléon, le plus cohérent avec la politique qu’il mène et démène depuis son élection : passéiste, européiste, technocrate, bureaucrate. En déconnection.
Par l’absolutisme du centrisme, le Président peut comme il l’a toujours fait, sans véritable anicroche, se maintenir et faire perdurer sa politique, légitimement ou non, là n’est pas la question.